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    Je suis là sur ce banc de pierre, j'ai rassemblé autour de moi les cartons dépliés, un sac contenant mes maigres biens. Pourquoi appelle-t-on ça des biens ? Je les défends comme je peux de la convoitise de mes semblables. Les passants ne me voient pas, ou font semblant. Je ne leur en veux pas. Ils ne savent pas s'ils doivent me craindre ou me plaindre. En vérité, ils ne savent pas quoi faire. Certains. Les autres me méprisent. Ils passent sans me voir et pourtant je suis là. Dans leur monde et dans le mien. C'est à la fois le même et un autre. Je suis moi aussi sorti du ventre de ma mère, j'ai moi aussi été nourri, éduqué, peut-être choyé. J'ai grandi, travaillé, aimé, fanfaronné parfois. Un jour tout a basculé. Ou peut-être tout a glissé. C'est cela. C'est arrivé doucement. Mais sûrement. Comme on dit. Je n'espère plus rien. J'attends l'heure suivante. Si. J'espère cependant. Une nuit pas trop froide, une nuit où aucune main ne secouera mon épaule. Une nuit sans interruption du sommeil enfin venu, de ce temps bienvenu de l'oubli. Là, sur le banc de pierre dure, là, sous mes couches de carton, là quand enfin j'ai trouvé la position d'un équilibre provisoire. J'espère juste que la faim ne me tenaillera pas trop, j'espère juste que la dame-pipi de la gare détournera les yeux lorsque je me glisserai près des lavabos, j'espère juste que le chien errant ne reviendra pas me disputer un morceau de sandwich. J'ai fait partie du monde des passants, à présent je fais partie de leur décor. Pourtant c'est le même monde. Je suis là et je n'y ai plus accès. Je n'ai même plus la force de croire que cela peut changer. Je suis là, maintenant, je suis là, je ne veux pas penser à autre chose.

    Marie Evin

     

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    Je suis terré. Je pourrais être une souris cachée au fond de son trou, attendant le départ du chat, un malade enfermé dans la chambre d'une institution, effrayé par le simple fait de vivre, un enfant roulé en boule au creux de ses draps, terrorisé par les ombres de la nuit. Je pourrais être tout cela, et encore, un homme préhistorique attendant le lever du jour, blotti dans le recoin d'une grotte, une larve d'insecte avant sa métamorphose, un morceau de pain oublié au fond de la maie, un embryon aux pensées informulées, un pied au fond de la chaussette, l'oeil larmoyant sous la paupière. Qui suis-je donc ?

    Marie Evin

     

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    Je suis arrivée là par hasard, une rencontre, une autre, une rupture, une reconstruction. Je reste là parce que je reprends mon souffle, c'est une pause, une halte, un moment de répit. Et puis j'ai trouvé ma place, un peu, pourquoi pas après tout ? Cette place en vaut bien une autre, tout comme celle que vous occupez, elle n'est ni plus légitime, ni moindre que la vôtre. Pourquoi me regardez vous ainsi ? Pensez vous que je doive quitter cet endroit ? Et vous, que faites-vous ici ? Avez-vous oublié le lieu d'où vous venez ? Si je renonçais à me battre, je partirais. Puisqu'il faut toujours se battre, un peu, comme les chats qui marquent leur territoire, comme le rouge-gorge, même lui, ce petit volatile fragile, comme le chiendent et la fleur cultivée. La vie n'est qu'une lutte sans fin, entre l'usure et la force. Si ma tanière se fissure, j'ai le choix. Maçonner à nouveau ou la regarder s'effondrer. Maintenant c'est vous que j'observe, de loin. Je fuis votre arrogance et votre mépris. Mais je ne vous crains pas. Je sais qui je suis. 

    Marie Evin

     

     

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    Aujourd’hui ou l’impossibilité d’un dehors, (non pas d’une île). Chez moi, dans ma salle, sur mon micro, sur mes écritures, ce que j’écris là, c’est l’ile. En général on n’est pas seul sur une ile, (dans les histoires d’aventure) on a un compagnon, non pas un congénère (ce serait trop simple quoique) mais une bête, un autre en quelque sorte que soi, figure de l’étranger, de l’alien (dans le pire des cas), dont on ne comprend pas la présence (au début). Ici la bête avec moi c’est une mouche. Embarquée dans le même radeau que moi à vivre l’impossibilité du dehors.

    Elle ne trouve pas la sortie, trouve pas l’issue, enfermée dans un mouvement presque brownien devant la fenêtre, et ne décidera pas d’élaborer un autre projet (que de sortir), par manque de poids de son cerveau…c’est bête ! Et ce qui de mon point de vue constitue le fait le plus triste et le plus cruel de son existence, c’est qu’elle ne pourra pas l’écrire. Ecrire par exemple qu’elle n’a pas trouvé, qu’elle ne trouvera pas la sortie. Je pense même que cette incapacité à conscientiser cet état de fait devrait être un mobile suffisant pour qu’elle abandonne définitivement son ambition de vivre et envisage de se fracasser contre la cloison qui la sépare de son objet du désir. (Le désir à l’endroit d’une mouche pourrait être interrogé). Moi j’écris, j’essaye, je peux essayer, cette possibilité je l’ai, aller dehors aussi du reste. Je n’ignore pas non plus l’évidence de la similitude de nos grands yeux sur le côté, de nos pattes arrière épaisses (du fait de mes grosses chaussettes), de l’agitation incessante de nos petits doigts. Ce sont précisément là des différences d’appréciation qui nous distinguent et nous séparent, je sens bien une cloison.

    Le dehors en ce qu’il me donne à voir est singulier, étrange, incommensurablement en dehors de mon ordre d’ici et maintenant, inatteignable, c’est même pas la peine. Augurant d’un entrain créatif et d’un potentiel de vitalité pas plus prometteur que mon écran, sauf que le soleil illumine notre île par intermittence.

    Vous noterez que je dis « notre île » désormais. Car il va de soi qu’il va se passer quelque chose entre elle et moi, que quelque chose va s’imaginer, d'une manière ou d’une autre. Aussi je propose, à toute fin de limitation et pour ne pas inventorier la multiplicité des scénarii, (ce que j’écris là est un fragment), d’évoquer quelques possibles. Ou bien nous vivons pleinement notre impossibilité d’un dehors travaillant peut-être même à y puiser une certaine satisfaction (auto flagellation, victimisation, stigmate de l’artiste), tout en feignant d’interroger l’existence de l’autre. Ou bien considérons-nous que condamnées (féminin pluriel) à demeurer sur notre île, il n'est que l'inéluctabilité d'une confrontation. Dans ce cas de figure, nous ne copulerons pas ensemble eu égard la barrière infranchissable de la dimension morpho-psychologique. En matière de fusion il y a d’ailleurs ce précédent en l’intéressante expérience relatée par le Cronenberg, une histoire d’homme et de mouche, fusionnelle jusqu’au un niveau infra-cellulaire, qui à vrai dire et que les choses soient claires ne me tente guère. Je ne vais pas non plus la buter ou la séquestrer longuement dans une boite d’allumettes que je flamberai sous mes yeux ébahis et ses yeux larmoyants (ou l’inverse), je n’ai de toute façon pas le courage de me lever (et encore faudrait-il que je sois capable d’attraper la bête). Non. Bien plus classiquement et tout simplement, devrais-je peut-être faire équipe avec elle et accepter de faire le premier pas. Sur l’île, à un moment donné, vers la fin dans l’histoire d’aventure, l’humain et la bête, face à l’adversité et au danger, nient leurs différences pour unir leurs forces et déclencher un dénouement positif, une issue. Donc la suite devrait être…accorder à la bête un présence d’esprit, me lever, ôter mes grosses chaussettes, vérifier que les objets qui se doivent de sortir eux aussi sont avec moi, nous ouvrir la porte, et là sous un ciel clair et bleuté, franchir ensemble le seuil, sortir, elle et moi, moi et elle, C’est toi et moi contre le monde entier…, et faire un petit bout de route ensemble. Vers le nouveau monde.

    Pour sûr, elle va vite me larguer, oubliant ce que nous avons été l’une pour l’autre (surtout elle pour moi, y’a souvent une légère dissymétrie dans les échanges interpersonnels), le temps de l’écriture d’un fragment de texte.

    Pour tout dire, je ne la vois plus, elle n’y est plus. Je ne sais pas comment elle s’en est sortie, elle ne m’en a pas fait part. Moi j’ai mal partout, aux fesses, au dos. C’est petit un micro, c’est petit une ile. Faudrait peut-être que je déploie mes petites ailes moi aussi, faudrait peut-être que j’aille voler, juste à côté du soleil. Et que je ne revienne pas l’écrire.

    Corinne Le Lepvrier

     

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    DSCN3076.JPGL’histoire derrière la porte ou Autant en emporte le porte à porte

    Ici et maintenant, alternance cornélienne entre l’incipit incisif, et l’exit décisif. Au loin, en face de soi, deux portes distinctes s’entraperçoivent. Etre un passager en transit dans ce long dégagement, se mouvant vers deux issues. Presser le pas au sol, foncer, filer en vrille dans un atermoiement introspectif, en marche pour une prise de décision exacte. Un coup d’œil pour un point de vue divergent, convergeant vers d’autres perspectives, à l’affût, dans l’expectative d’une nouvelle perspective. Sans assurance, déboucher en définitive sur l’une de ces portes, en franchir une seule qui d’instinct se fermera mécaniquement. Face à ces deux portes, en face de soi, soi même, partagé, fendu, dupliqué, reproduit en deux tant que ces portes demeurent au nombre de deux. Choisir l’un de ceux-là, ceux là même qui sont moi. Un seul doit me suffire. Deux portes aux dimensions similaires, leur hauteur, épaisseur, leur couleur ; ces deux portes qui ne voilent qu’un seul et même leurre, celui de mes attentes. Aucune chance de les distinguer l’une de l’autre. Deux portes atones, impersonnelles, lambdas, basiques et surtout jumelles, munies d’un ferme-porte automatique. J’ai beau les examiner, les sonder, les interroger, je ne vois que l’ombre de mes embarras. Deux dimensions pour un exutoire, et une troisième dimension, à hauteur d’homme qui occasionne une quatrième dimension, par l’entremise de ses choix. Station debout, je pose devant en faction. Ici et maintenant, choix de l’incipit ou de l’exit, perspective en fuite, d’avant demain en avant. Souffler, respirer, insuffler, entrant, sortant, l’air fait ses allers-retours et gonfle mes poumons. Mon corps tremble de chaud, exsude ses perles glacées de sueurs. Une voix susurre dans cette boîte crânienne, « l’amour t’a faussé compagnie ». Ton ego réverbère encore dans ce couloir, martèle les murs, s’immisce en moi par l’orifice de mes oreilles. Il rebondit entre mes deux tympans. Tic, tac, tic, tac, toc, toc, toc. Personne…je sens le métal froid de la poignée sous ma paume, je pousse une porte, pénètre, disparaît de ce couloir. La porte lentement se referme, dans un lent mouvement automatique, 45 degré de trajet circulaire balaie ce long moment de doute. Dehors, dehors tous mes tourments, dehors, dehors tout le monde, dehors. J’ai mis au clou tous mes souvenirs sur les parois lisses de ces couloirs. J’ai passé le seuil de tolérance. Peu m’importe, je m’emporte, je me suis exporté.

    Samuel Beillois